Edito de Florence DIBON
Depuis 30 ans, l’IRCE porte une mission d’accompagnement des entrepreneures à chaque étape clé de la vie de l’entreprise : création/ amorçage, développement/retournement/pivot et transmission/reprise, avec pour ambition de consolider les compétences des dirigeants à impact positif sur l’économie, l’emploi et l’environnement des territoires. Pour accomplir cette mission, l’IRCE est, depuis son origine, un laboratoire d’innovations pédagogiques, d’expérimentations d’actions collectives qui facilitent l’émergence des talents de chacune et de chacun et l’alignement de ses valeurs et de son ambition entrepreneuriale avec son projet.
Avec plus de 6000 entreprises accompagnées, l’IRCE porte un regard empirique certain sur la dynamique entrepreneuriale dans ses composantes humaine, économique, sociétale et territoriale. C’est la première fois que l’IRCE s’attèle à la rédaction d’un « hors-série » faisant le focus sur la reprise d’entreprise et plus particulièrement la reprise d’entreprise portée par des femmes.
Fidèle à son image de guide, d’éclaireur, le conseil d’administration et l’équipe de l’IRCE veulent au travers de ce document offrir un espace de réflexion quant à cette thématique qui met en exergue la complexité des processus, des trajectoires personnelles. En fait ce dossier éclaire à sa façon la complexité de notre monde là où nos pensées cartésiennes tendent à le simplifier, sans doute pour nous offrir un monde binaire où la question serait de savoir dans quelle case mettre les femmes repreneuses ?
Vous l’aurez compris, vous ne trouverez pas ici la réponse à cette question. L’axe de réflexion qui retient l’attention des administrateurs et des collaborateurs de l’IRCE est de s’interroger sur la façon de restituer aux femmes leur valeur entrepreuneuriale intrinsèque et leur réelle contribution à la dynamique économique, la faire valoir simplement, naturellement sans l’opposer à celle des hommes. Et pour faire reconnaître cette valeur et ne pas polariser notre vision des choses, il faut déconstruire nos représentations et se donner les moyens de regarder la réalité autrement qu’en rose pour les filles et bleu pour les garçons. Nous le disons avec le ton de l’humour
mais nous avons mesuré grâce notamment à la contribution précieuse d’Isabelle Régner, Professeure, Responsable de l’équipe Cognition et Neurosciences Sociales au CNRS et Vice-Présidente d’AixMarseille Université en charge de l’égalité hommes-Femmes, à quel point notre regard est genré et ce malgré nous. Nous sommes pris et prises à nos propres pièges par nos cerveaux nourris depuis l’enfance aux stéréotypes de genre. Alors nous avons décidé de prendre un bout de la pelote et tirer un fil pour ouvrir autrement le sujet du repreneuriat au féminin. Nous espérons que cela vous encouragera à faire de même quel que soit votre rôle dans la vie économique et plus
particulièrement dans les processus de reprise et transmission d’entreprise. Car à l’autre bout de la pelote, il y a vous, il y a chacun et chacune d’entre nous. Et c’est ensemble que nous pouvons faire évoluer les choses et gardons en tête que lorsque le regard change sur une situation, c’est la situation qui change.
Interview de Pascale GUNEPIN
Qu’est-ce qui vous a poussée vers la reprise d’entreprise ?
Une opportunité : j’étais déjà dans l’entreprise depuis décembre 1999 où j’étais rentrée en alternance pour mettre en place le système qualité, du coup ça m’avait permis l’observation de l’ensemble de l’organisation. Avec un effectif de 10 personnes, nous avions déjà subi plusieurs changements de direction, avec plus ou moins de succès…
En 2010, alors que j’étais en congé parental, l’entreprise a été cédée à un gestionnaire et un investisseur. Le gestionnaire, partant en 2014 en retraite s’était mis à chercher des repreneurs depuis 2013. Mon mari et moi travaillant dans la société, avec des profils complémentaires (lui est Responsable de Production et moi Responsable Qualité et Administrative), je me suis dit alors : « c’est mon tour, il faut que j’y aille » et j’ai été épaulée par mon ancien patron ainsi que par l’équipe en place. La période 2013 / 2014 a été une période de transition. Et le cédant nous a accompagné encore 1 an après la reprise.
Qu’est-ce qui vous a le plus étonné dans ce parcours vers la reprise d’entreprise ?
Je suis dans l’industrie depuis 1999, une des rares femmes à travailler dans le domaine de la qualité à cette époque. Il y avait beaucoup de préjugés, autant en interne, qu’en externe. Finalement j’ai « essuyé les plâtres » puis c’est rentré dans les mœurs. Lors de la reprise en 2014, j’ai eu le même sentiment : devoir me battre contre les préjugés. Dans les discussions entre le cédant et ses différents conseils et partenaires, j’entendais : « oui, mais c’est une femme… »
Quelle fut (ou quelles furent) les bonnes surprises ? Les galères ?
Coté galère, ce fût de monter le business plan. Ce n’est vraiment pas un exercice naturel. J’ai vraiment trouvé ça compliqué. Et le présenter aux banques alors que je rencontrais un problème de financement personnel fût une difficulté majeure. En fait, les banquiers ne prenaient pas de décision. Ils avaient recours à des intervenants extérieurs (des conseils d’experts) pour valider ou invalider le dossier pour eux. Dans l’une de ces commissions j’ai entendu que j’avais « le profil type : un diplôme (Bac+3) et une dizaine d’années d’expérience ». J’ai été assaillie de questions, l’idée étant de savoir y répondre du « tac au tac » pour démontrer sa maitrise du dossier… Pour difficulté supplémentaire, pendant cette recherche de financement et ce passage devant les commissions, nous devions faire face à la maladie puis au décès de mon beau père. Ce projet m’a demandé beaucoup de disponibilité et heureusement j’ai eu le soutien de ma famille, soutien qui s’est révélé indispensable.
Quel(s) sont les soutiens qui vous ont été les plus précieux ?
J’ai eu le soutien de ma famille et celui de toute l’équipe qui se réjouissait de ne plus avoir de directions successives. J’ai également eu le soutien de plusieurs clients même si parfois les préjugés sont encore forts. Il arrive encore aujourd’hui que certains préfèrent s’adresser à mon mari… Si c’était à refaire, quel conseil avezvous reçu dont vous vous dites que vous n’auriez pas dû l’écouter ? On m’a plusieurs fois conseillé de « virer toute l’équipe et recommencer avec une nouvelle pour asseoir mon autorité ». Ça m’a vraiment perturbé. Je me suis quand même posé la question puis j’y ai renoncé. On m’a plusieurs fois conseillé également de déménager l’entreprise pour me rapprocher de certaines unités de mes clients, ce qui aurait nécessité de se séparer également d’une partie de l’effectif. Je ne l’ai pas fait. Et aujourd’hui de façon très volontariste, j’embauche plutôt des jeunes et les forme en interne. On m’a souvent dit que j’étais utopique, j’ai peut-être juste un regard différent…
Quelle est l’information qu’il vous aurait absolument fallu au démarrage ?
Si j’avais eu connaissance des difficultés pour monter un business plan, je serais allée chercher de l’aide plus tôt. Il a fallu le revoir 3 fois. Cela a été une épreuve malgré l’aide de mon ancien patron.
Où en êtes-vous aujourd’hui ? Que retirez-vous de tout cela ?
Cela fait 7 ans. Aujourd’hui je me sens reconnue dans mon milieu. C’est un épanouissement et cela m’a permis de trouver la stabilité que je cherchais. Même si c’est beaucoup de travail et de responsabilités. C’est une belle aventure que nous partageons à deux, mon mari et moi. Cela nous a permis aussi de venir vivre en campagne pour les enfants.
Une qualité qui vous a été plus particulièrement précieuse ?
Je dirai ma capacité de travail et mon expertise. Ma façon de voir les choses est précieuse également : en effet je parviens à trouver un angle différent de ce que va faire la majorité des personnes. Du coup j’ai réussi à faire monter l’entreprise en compétences avec à la clé de nouvelles certifications : 14001, 45001 et l’obtention d’une médaille d’or PME en RSE. Et j’ai aussi beaucoup investi sur la formation des salariés.
Avez-vous senti un regard particulier sur votre projet, vos compétences du fait que vous êtes une femme ?
Oui et ça continue ! Il y a beaucoup de préjugés de façon générale, même en 2021 ! Avoir une femme dirigeante ce n’est pas encore rentré dans les mœurs. On entend encore souvent que « la place des femmes est au foyer à s’occuper des enfants ». Une femme, pour être crédible, doit redoubler d’effort ! On m’a dit également que ma place était plus sûrement dans un organisme de formation parce que je suis prévenante en matière de formation pour mes salariés.
Une anecdote à nous partager ?
Maintenant, je me suis fixée comme challenge d’embaucher des femmes sur des métiers techniques. J’ai d’ailleurs réussi à recruter une première femme dans les ateliers. J’ai pour cela beaucoup travaillé l’ergonomie des postes de travail. Mais là encore nous nous heurtons encore aux préjugés, notamment avec les intérimaires : « c’est des métiers d’hommes », « la place des femmes n’est pas dans les ateliers », « une femme c’est dans les bureaux et en mini-jupe ! », nous découvrons les gens sous un autre angle, que nous n’avions pas remarqué jusque-là avant son arrivée. Il semble qu’aujourd’hui, en France, nous ayons encore du chemin à faire !
Une bonne pratique à partager ?
Il faut pouvoir compter sur son entourage quand on se lance dans l’aventure : « ça commence dans la famille » sinon c’est trop compliqué.
Votre devise ?
J’en ai deux : « Ils l’ont fait car ils ne savaient pas que c’était impossible » et « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin ».
Vous pouvez découvrir le hors-série complet sur le site de l’IRCE
Bonjour, ceci est un commentaire.
Pour débuter avec la modération, la modification et la suppression de commentaires, veuillez visiter l’écran des Commentaires dans le Tableau de bord.
Les avatars des personnes qui commentent arrivent depuis Gravatar.